"Quand les plus pauvres nous remettent en question" par Jacques Blandenier

Jacques Blandenier jeudi 23 avril 2015 icon-comments 1

La mission est une dynamique où le Nord et le Sud sont partenaires. Le spécialiste de l’histoire des missions, Jacques Blandenier, parle d’un « flux bidirectionnel ». A découvrir !

On a l’impression aujourd’hui que la mission est dans beaucoup de milieux chrétiens une notion périphérique, pour ne pas dire périmée. Effectivement, l’image de la mission telle qu’elle se pratiquait au XIXe siècle et même encore pendant une grande partie du XXe ne correspond plus à la réalité. Faut-il pour autant parler de la fin de la mission ? Il est vrai que les Eglises de la « vieille Europe » manquent d’élan et se contentent parfois de survivre, alors que le dynamisme et la croissance des « jeunes Eglises » d’Afrique et d’ailleurs nous impressionnent.

Dès lors, faudrait-il inverser le courant ? Alors que l’Occident avait, dans le passé, tout à donner et à apprendre aux pays du Sud, sommes-nous prêts à recevoir les richesses que les « pauvres » peuvent nous apporter ? Pour ma part, je crois plutôt à la valeur d’un « flux bidirectionnel », c’est-à dire à un échange entre des valeurs différentes mais aussi importantes les unes que les autres (un échange entre valeurs identiques n’aurait aucune utilité !). Pour nous, partager des moyens financiers, un savoir-faire technique, un niveau plus exigeant de formation biblique, sans doute. Mais sommes-nous conscients de ce que nous pouvons recevoir de la richesse des plus pauvres ? Deux anecdotes pour l’illustrer.

Un dimanche dans une Eglise évangélique au Congo

Dans cette grande église de Nyankunde (est de la République démocratique du Congo) rassemblant une communauté de plus de 1300 personnes, j’ai vécu de nombreux cultes pleins de joie et de vie, avec des cantiques entraînants, et au moins quatre chorales chaque dimanche. Puis une terrible guerre ethnique a ravagé la région au début des années 2000. Toutes les réalisations des missions ont été détruites : hôpital, imprimerie, bibliothèque, écoles, centres de formation… sans parler des maisons d’habitation – y compris celle qu’on appelait le « chalet suisse », qui fut le domicile de bon nombre d’envoyées et d’envoyés de nos Eglises. La population qui n’a pas été massacrée a fui dans la brousse, errant parfois durant plusieurs semaines avant de trouver des lieux plus sécurisés.

Quelques mois après ces événements tragiques, je suis retourné sur place. Dans la grande église, il n’y avait plus que 200 personnes, et une toute petite chorale d’enfants. Soudain, une jeune femme s’est avancée, et nous a dit ceci : « Chaque dimanche, j’aimais chanter ici les louanges du Seigneur avec ma chorale. Puis j’ai dû fuir la guerre et maintenant, après sept mois, je suis de retour. Depuis une semaine, j’ai cherché dans toute la localité des membres de ma chorale, et je n’ai trouvé personne. Mais je suis là ce matin, et comme je le faisais avant, je veux malgré tout louer mon Dieu. » Et, toute seule, elle a élevé la voix pour chanter un cantique.

Que pouvais-je ajouter après cela avec ma prédication ? N’est-ce pas une démonstration de ce que les Eglises d’Afrique, démunies et victimes de tant de malheurs, peuvent nous apprendre ? Il ne s’agit pas d’un savoir théorique, ni de moyens techniques et financiers, mais de la richesse d’une foi et d’une résistance dans l’épreuve, qui nous manquent souvent cruellement.

Cinq dollars pour une vie

Quelques semaines plus tard, alors que je me trouve à Bunia, dans la même province orientale du Congo pour enseigner dans la Faculté de théologie évangélique, un monsieur frappe à ma porte, manifestement bouleversé : « J’aimerais que vous priiez avec moi. Notre fille, un bébé nouveau-né, est gravement malade et, d’après le médecin, elle ne pourra survivre que grâce à une transfusion sanguine. Mais l’hôpital refuse de la faire, car je n’ai pas de quoi payer le coût de l’intervention : cinq dollars. » Nous prions, il pleure. Je n’hésite pas un instant, et lui remets la somme nécessaire à l’intervention.

Mais voici que le lendemain, le même monsieur revient avec un vieux cassettophone, me demande avec insistance de le lui racheter. Là, je refuse, peut-être même un peu sèchement, car je commence à me demander si la veille je ne me suis pas fait rouler par un comédien. C’est tout juste si je ne regrette pas mes cinq dollars !

Et puis l’année suivante, alors que je marche dans la ville de Bunia, je croise un homme qui m’interpelle. Je ne le reconnais pas, mais il me dit être le papa du bébé : « Mon frère, je veux vous remercier, car ma fille a été sauvée grâce à la transfusion sanguine. Maintenant, elle est en bonne santé. »

Quelques années plus tard, le même homme me rend visite, accompagné de ses deux enfants, dont une petite fille toute mignonne et souriante. « Elle s’appelle Grâce », me dit-il. Il n’y avait pas d’autre nom pour elle !

Et dire qu’à un moment, j’ai regretté mes cinq dollars, le prix de deux cafés chez nous, le prix pour sauver une petite fille d’une mort certaine ! Ce ne sont peut-être pas de nos millions dont l’Afrique a besoin, mais de notre amour, de notre cœur ouvert et de notre confiance.

Jacques Blandenier, professeur de missiologie

1 réaction

  • Jacob LIPANDASI vendredi, 08 mai 2015 14:41

    Merci pour les documents relatifs à la pauvreté que nous trouvons sur votre site.
    Dommage nous avons accès difficile à l'Internet et même l'impression des éléments y trouvés gratuitement est extrêmement cher pour nous qui sommes en milieu rural de la RDC. Nous accédons à l'Internet à 80 km de chez-nous. Le transport étant cher, les moyens trop limités, nous vous prions de nous envoyer gratuitement, sans note engagement, vos outils et livres en dur pour la bibliothèque rurale pour permettre aux filles et femmes d'accéder à la lecture des documents modernes.

    Adresse:

    JACOB LIPANDASI
    BP 287 CYANGUGU
    RWANDA

    Merci, Jacob

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