Quand on lit votre rapport annuel, on ne trouve rien sur les fermetures d’Eglises chrétiennes en Algérie au cours de 2008, rien sur les difficultés des anciens musulmans qui ont changé de religions... Pourquoi ne dites-vous rien sur ces sujets ?
Le rapport que j’ai soumis cette année concernait les droits économiques et sociaux des minorités religieuses. J’ai aussi publié des rapports concernant 6 pays particuliers. Ma déclaration devant le Conseil des droits de l’homme est limitée à 15 minutes. Elle doit refléter ce que je dis dans ces différents rapports. Si je commençais à évoquer chaque situation particulière, cela durerait bien plus que le temps imparti.
Par rapport au fait de changer de religion, j’ai traité de ce thème en 2005 et vous pouvez consulter ma note intitulée « Eliminations de toutes les formes d’intolérance religieuse » (A/60/399) (en français sur le site).
Parmi les chrétiens engagés, beaucoup nourrissent des sentiments de plus en plus hostiles à l’endroit des régimes autoritaires musulmans. Que leur diriez-vous pour qu’ils apportent une contribution positive à la défense de la liberté de religion dans le monde ?
Les personnes qui souffrent le plus des régimes autoritaires sont d’abord celles qui subissent directement ces régimes. J’aimerais que ces chrétiens aient cela à l’esprit. Ce que j’ai remarqué et mentionné dans mon rapport, c’est que toute liberté, y compris la liberté de religion et de conviction, est très étroitement liée au type de régime politique dans lequel vous vivez. La démocratie par nature permet plus de liberté, y compris dans le domaine de la religion et des convictions. Un manque de démocratie accroît tout simplement l’intolérance et la polarisation religieuse.
Dans cette perspective, je suis d’accord avec ces chrétiens, mais ils doivent intégrer que les sociétés se développent et qu’il faut aider les gens sur l’ensemble de la planète à gagner leur liberté. A ce niveau-là, il n’y a pas de différences entre un musulman, un chrétien, un hindou ou un juif qui aspire à la liberté. Il s’agit donc d’aider chacun, sans différence aucune du point de vue religieux, avec à l’esprit le fait que cette personne souffre d’un régime autoritaire.
Comment voyez-vous le rôle des ONG dans l’élaboration de votre rapport ?
Elles jouent un rôle extrêmement important. Toutes les demandes que nous recevons viennent des ONG ou d’individus. Nous ne pouvons pas émettre de revendications par nous-mêmes et les tirer des médias. Nous avons donc besoin des ONG !
Avez-vous l’impression que les ONG chrétiennes défendent bien la liberté de religion des chrétiens dans le monde ?
Je ne regarde pas à la religion des ONG. Pour moi, toutes ces ONG défendent les droits de l’homme. Certaines ONG sont plus organisées que d’autres. Dans les pays où le travail des ONG est autorisé, la société civile est plus dynamique. Là où elles sont interdites, il sera pour nous beaucoup plus difficile d’obtenir des informations fiables. Ça a toujours été un défi.
Depuis 2001, la situation de la liberté de religion et de conviction s’est-elle péjorée dans le monde ?
La situation de la liberté de religion n’était pas particulièrement bonne en 2001 et elle s’est péjorée depuis. Les lignes de fracture sont plus marquées et la polarisation s’est accrue. Le 11 septembre n’a rien apporté de positif pour consolider la paix entre les religions, mais il est temps pour nous d’avancer. Il est temps de regarder en nous-mêmes. Nous avons tendance actuellement à nous blâmer les uns les autres, plutôt qu’à regarder dans notre propre société et à considérer ce qui est en train de s’y passer. A mon sens, la première chose à faire, c’est de considérer ce qui se passe dans notre propre société, puis de regarder au-delà.
Un des axes centraux de votre combat ne devrait-il pas être de demander aux Etats la séparation de l’identité religieuse de l’identité nationale ?
Mon prédécesseur a traité de ce thème. Il a considéré que nous ne devions pas en tant que Rapporteur spécial sur la liberté de religion, regarder au modèle de gouvernement qu’un pays a adopté. Ce que nous examinons et qui est constitutif de notre mission, c’est la discrimination et le fait qu’un gouvernement n’accorde pas de privilège à une religion particulière.
Si vous regardez ce qui se passe autour du monde, il y a des pays qui s’appellent eux-mêmes laïcs et qui pratiquent ce que l’on appelle la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Dans le même temps, ils ont une religion dominante.
Cela pose aussi des questions par rapport à l’Europe où la tête de l’Etat doit être d’une religion particulière et où une religion peut parfois être requise pour exercer certaines fonctions. Ce que nous souhaitons examiner dans un pays, c’est s’il y a persécution, si chacun bénéficie des même droits et si les gens ont un accès à leurs droits religieux.
A l’avenir, que devrait développer l’ONU pour défendre mieux la liberté de religion et de conviction ?
Premièrement, tous les gouvernements devraient de façon résolue s’élever au-dessus des lignes de démarcation religieuses. Ils doivent être beaucoup plus proactifs dans la protection des droits humains. Si vous regardez à la liberté de religion et de conviction, ce qui est important ce n’est pas à quelle religion ou conviction vous appartenez. Ce qui est important, c’est que c’est un droit humain ! Ce n’est pas un droit séparé des autres normes et standards en matière de droits humains.
Deuxièmement, les gouvernements doivent reconnaître le fait que les gens à la base souhaitent bénéficier de plus de droits que leur gouvernement est prêt à leur accorder. Lorsque je visite un pays pour une mission de l’ONU, j’ai l’impression que les gouvernements avancent à quatre pattes pendant que les gens courent. Ce fossé est très problématique et peut créer des problèmes pour de futurs gouvernements.
Propos recueillis par Serge Carrel