Bernard Russi, vous venez d’ouvrir Aquatis après 17 ans de gestation. Etes-vous un homme heureux ?
Je suis un homme comblé. Tout a commencé il y a 17 ans par un aquariologue qui rêvait de créer un paradis d’eau douce où seraient mêlées conservation d’espèces en danger, recherche et sensibilisation. Enthousiasmé par l’idée, je l’ai rejoint dans son rêve il y a huit ans. C’était un projet extrêmement compliqué aux niveaux scientifique, artistique et pédagogique. Le plus grand défi était de mettre les compétences ensemble, que tous ces spécialistes soient d’accord de se reconnaître et de s’écouter. Le deuxième grand défi était les finances. Beaucoup pensaient qu’on n’y arriverait pas, mais on y est arrivé. Ce fut un travail d’équipe magnifique.
Vous avez dit qu’Aquatis est une « arche de Noé nouvelle génération ». Qu’entendez-vous par là ?
La majorité des espèces présentées dans Aquatis sont menacées ou carrément en voie de disparition. Dans la presse ou à la télévision, c’est à dessein que j’emploie cette image tirée de la Bible. A l’époque de Noé, Dieu avait prévenu qu’il allait envoyer un déluge. Noé a reçu dans l’arche un certain nombre d’espèces d’animaux, afin de conserver leur vie sur la terre. C’est pourquoi j’ai toujours associé Aquatis à une « arche nouvelle génération », celle du XXIe siècle, parce ce qu’il y a beaucoup d’espèces menacées qui seront ainsi préservées.
Pourquoi cette fascination pour l’eau douce ? N’est-ce pas un milieu « ennuyeux » ?
Ceux qui croient que l’eau douce est ennuyeuse, la connaissent mal. L'eau douce ne représente que 2,5 % de la totalité de l'eau présente sur terre, mais elle est vitale pour l’homme qui ne peut survivre plus de trois jours sans eau. Or l’eau douce est en danger. Les activités humaines – rejets domestiques, agricoles ou industriels – la polluent. Elle n’est plus potable et, en fin de compte, elle tarit. L’humanité est en train de massacrer la source de son bien-être. Aquatis veut renverser cette tendance. Il s’agit de sensibiliser le public à ce bien précieux qu’est l’eau douce. Près d’un milliard d’habitants n’ont pas accès à de l’eau douce propre. L’eau potable est devenue une denrée rare. Aquatis veut interpeller : « Arrêtons cette pollution. Essayons de respecter cet élément essentiel à la vie sur terre. Essayons de comprendre que c’est un produit périssable. »
Parmi toute cette faune, avez-vous un animal préféré ?
Non, je ne crois pas. J’ai déjà fait cent fois le parcours et chaque aquarium, chaque terrarium me réjouit. C’est à la fois très ludique et très informatif. Ce qui m’impressionne, c’est l’incroyable collection de serpents. Mais aussi le varan de l’île indonésienne du Komodo, un reptile préhistorique unique. Il y a aussi des poissons étonnants comme l’arapaima : on dirait qu’il est fait de petites lamelles en or. Dans la serre tropicale, on trouve des petites grenouilles bleues venimeuses, mais tellement jolies. Dans les mangroves hautes, on peut voir des poissons qui propulsent un jet sur un insecte, comme le font les gamins avec leur pistolet à eau. Ce jet fait tomber l’insecte dans l’eau et les poissons n’ont plus qu’à le manger. Dans les mangroves basses, il y a des poissons avec quatre yeux… toute cette faune est tout simplement incroyable !
Des antispécistes ont manifesté devant Aquatis contre « l’exploitation des animaux par l‘homme ». Que leur répondez-vous ?
Il ne s’agit nullement d’exploitation, mais de responsabilisation, comme le stipule d’ailleurs le préambule de la Constitution suisse qui souligne notre « responsabilité envers la Création ». Nous sommes responsables de nos actes, nous devons veiller aux grands équilibres des écosystèmes et à la biodiversité. Sur le principe du respect de la nature, je suis donc d’accord avec les antispécistes. Il est inacceptable que l’on maltraite les animaux ou qu’on les massacre gratuitement. Par contre, quand les antispécistes disent que l’animal est l’égal de l’homme, je ne peux pas être d’accord avec cette philosophie. Le fait de nous mettre au niveau des animaux ou inversement, est pour moi une manière d'abandonner cette responsabilité qui, qu'on le veuille ou non, nous incombe.
Vous avez dit : « Dans la vie, si on n’est pas conquérant, il faut rester couché. » Vous avez passé dans votre vie par de nombreuses difficultés. Qu’est-ce qui vous amène à dire cela ?
Depuis tout petit, j’ai toujours aimé entreprendre. Conquérir, pour moi c’est un défi, et j’aime les défis. Mais il faut savoir prendre des risques calculés, tout en respectant l’environnement, l’adversaire et les personnes qui sont autour de nous. Des fois, il est vrai, je suis abattu parce qu’il y a des choses qui me tombent dessus, mais en général ça ne dure pas longtemps, ça me stimule même pour trouver une solution. Avec cela, j’avoue qu’au décès de ma femme en 2015, je pensais que ma vie était finie, que plus jamais je ne pourrais aimer. Dans mon désarroi, j’ai crié à Dieu et il m’a écouté en mettant sur mon chemin un cadeau. Avec Elisabeth, ma nouvelle épouse, je revis. Je suis enthousiasmé pour tout, nous partageons tout. Pour ce cadeau, aussi inattendu que merveilleux, je suis infiniment reconnaissant à Dieu.
Vous ne cachez pas que vous êtes un homme de foi. Vous avez à cœur la Création, le nom de votre firme Boas est tiré de la Bible et veut dire : « En lui [Dieu] est la force. » Quelle est l’importance de la Parole de Dieu dans votre vie et dans le projet Aquatis ?
Dans ma vie chrétienne, je suis un homme à géométrie variable. Il est vrai que le partage avec d’autres chrétiens me réjouit, mais je ne suis pas régulier ni dans la prière, ni dans l’assistance au culte. Je ne m’affiche pas chrétien, car pour moi, être chrétien, ce n’est pas un label mais un style de vie. Cela commence avec la décision de suivre Jésus-Christ et de chérir la relation avec celui qui m’a sauvé. Pour le reste, je veux être honnête avec ce que je pense et ce que je fais. Quant à l’entreprise, je ne mélange pas la foi et le travail. Je travaille avec droiture et franchise, sans tricher, en respectant le personnel, en le payant correctement. J’ai une ligne de conduite spirituelle, mais je n’en parle pas tout le temps. Claironner en toute occasion qu’on est chrétien comme si on était supérieur aux autres, c’est pour moi de l’orgueil. Cela ne veut pas dire que je ne prends pas la Parole de Dieu au sérieux. La Bible met en garde contre l’exploitation de la terre et des animaux par l’humanité et affirme qu’à la fin des temps, Dieu détruira ceux qui détruisent la terre (Apocalypse 11.18). Cette même mise en garde se trouve au cœur du projet Aquatis.
Propos recueillis par Monika von Sury