Il y a environ 27 ans, j’entrais en cure de désintoxication. J’étais pasteur, errant dans les mensonges, les dissimulations, les solitudes glacées, les hontes de l’alcoolique. Comment renaître après ça ? Les défis s’alignaient alors en cortège : oser regarder ma vie sans anesthésie, me laisser ouvrir malgré tous les « mais » hurlant dans mes profondeurs, accueillir les gestes d’amour et de pardon de mes proches, de ceux qui ne se sont jamais fatigués d’espérer, présenter mes années de faillite comme elles étaient au geste de rachat de mon Dieu…
Ebranlé d’avoir été capable de ça, fragile comme une terre qui se marque encore trop vite, trop facilement, trop profondément, j’ai découvert au fil des mois et des années le désarroi que suscitait ce chemin de vie atypique, la difficulté de trouver la ou les personnes, le ou les lieux qui pourraient encaisser le choc avec moi et en faire quelque chose qui retourne la vie vers une espérance, vers un renouveau de sens…
J’ai trouvé difficile de me laisser « rétablir dans ma dignité » sans m’épuiser à convaincre, à prouver par un perfectionnisme tyrannique que je suis peut-être quand même quelqu’un de bien.
J’ai beaucoup espéré
Oui, j’ai beaucoup espéré, profondément espéré guérir de tout ça, goûter à la vie libre, raconter avec des mots qui rassurent la foi ou soulèvent les louanges du peuple, être du cortège des libérés, des heureux, des « devenus forts ». Je me suis imaginé utile, aidant, partageant toute la compréhension sage que j’avais de mes chemins.
Ce n’est pas comme ça que Dieu a veillé ma vie… 27 ans d’abstinence et je reste si fragile, si sensible… Même dans la guérison, je n’arrive pas à être comme les autres !
Ce que j’ai compris tient en peu de mots : c’est Dieu qui m’a libéré et il l’a fait par le cadeau d’une dépendance suspendue à Lui, d’une protection jour après jour, d’un chemin vers lui nécessaire au quotidien, d’une certitude ancrée que la faiblesse enfin accueillie peut être une porte d’espérance.
Tourné vers le « pas encore »
Ces dernières années, un verset de l’épître aux Hébreux a su être mon compagnon, un pain pour la route: « Tous ces gens sont morts en croyant en Dieu. Ils n'ont pas reçu les biens que Dieu avait promis, mais ils les ont vus et les ont salués de loin » (11.13). L’amour de Dieu m’a donné un « déjà » en me libérant de la consommation de l’alcool. Il m’a aussi fait la grâce de me garder tourné vers son « pas encore », main tendue, regard qui voit, cœur qui sait… Cette lecture pose un sourire possible dans le Ciel du dépendant…