Rencontrée au buffet de la gare à Nyon, Slava Schenevey a toujours les yeux qui brillent quand elle parle de ses deux jeunes enfants qu'elle a laissé à son mari le temps de l'entretien : « Je n'aime pas les laisser... c'est sans doute lié à ce que j'ai vécu ! »
Agée de 39 ans, cette jeune femme est née en Bosnie, à Doboj, dans une famille chrétienne orthodoxe. « Chez nous Dieu a toujours été présent. On priait beaucoup et j'allais souvent à l'église. » Le pays est alors communiste et la foi reste cantonnée à la maison et dans les lieux de culte : « Je me souviens qu'à l'école, on ne parlait jamais de Dieu. »
Cadette d'une fratrie de quatre, elle commence l'école à 5 ans, soit une année avant l'âge requis. A la fin de sa scolarité obligatoire, elle souhaite faire une école militaire, mais elle est trop jeune. Elle part alors trois mois en Autriche chez un cousin, puis ce sera la Suisse, où elle trouve une place au pair à Villeneuve. Elle a à peine 14 ans.
La guerre est déclarée pendant son séjour helvétique. Son père lui demande de ne surtout pas rentrer. Débutés en Slovénie, les combats s'étendent rapidement en Croatie, puis en Bosnie. Slava perd alors tout contact avec sa famille pendant quatre ans et reçois des nouvelles de son pays uniquement par la télévision.
« Ma vie s'est arrêtée »
Lorsqu'elle quitte la famille vaudoise qui n'a plus besoin de ses services, Slava Schenevey trouve une place dans un restaurant, dans la région de Nyon. « Je ne parlais pas beaucoup le français et j'avais 15 ans et demi. J'étais nourrie et logée et je travaillais 10 à 11 heures par jour, sans presque avoir de congés ou juste quelques heures l'après-midi. Mon salaire, c'était ce qu'on voulait bien me donner. Je me souviens que je travaillais toute la journée et que, la nuit, je pleurais. »
Et puis Slava apprend que sa sœur Seka, de quatre ans son aînée, est en Autriche. « Je l'ai immédiatement appelée. Trois jours plus tard, elle est arrivée en Suisse pour me voir. J'ai alors retrouvé un peu goût à la vie, car je n'étais plus toute seule. Elle m'a dit qu'elle allait rester un moment avec moi et qu'ensuite, elle voulait essayer de rentrer en Bosnie afin de rechercher notre famille. » Les deux sœurs passent un mois ensemble. Puis le 3 novembre 1993, Seka est victime d'un accident de la circulation qui lui coûte la vie. « A cet instant, ma vie s'est arrêtée, raconte Slava. J'étais à nouveau seule, confrontée à beaucoup de problèmes avec la police et les autorités qui me persécutaient en me demandant pourquoi ma sœur se trouvait en Suisse et sans assurance. J'avais 18 ans. » La jeune femme a des larmes dans les yeux : « Même après 20 ans, c'est difficile de parler de tout ça ! »
« Un grand vide en moi »
Après l'enterrement de sa sœur, elle retourne au travail mais ne se sent plus la même : « Je ressentais un grand vide en moi. J'avais aussi perdu tout espoir de retrouver le reste de ma famille. »
Trois mois plus tard, un homme entre dans le restaurant où elle travaille et commence à lui parler. « Je n'avais pas le droit de discuter et je l'ai évité. » Trois semaines après, il est revenu avec sa femme. Cette fois-ci, Slava s'écroule et raconte sa solitude. « L'homme m'a alors prise dans ses bras et il m'a dit une phrase qui est restée gravée dans mon cœur : 'Non, tu n'es plus seule.' Le lendemain, il m'a demandé si je voulais venir habiter dans sa famille et travailler pour lui. Je suis alors partie dans ce nouveau foyer où je suis restée 14 ans. »
Slava raconte n'y avoir jamais été traitée comme une employée, mais comme la propre fille de ce couple qui avait déjà quatre enfants. « Il m'a également aidé à obtenir un permis de séjour. Et j'ai commencé à me sentir libre et à parler aux gens. »
Après une année passée dans cette famille, elle parvient à retrouver ses parents et, plus tard, ses frères. « J'ai tout de suite décidé d'aller les voir, même s'il y avait encore quelques risques. J'ai eu un gros choc en voyant que la guerre avait détruit tous nos biens, notre ferme, et également la maison de mon frère. » Avec sa mère qui n'a pas perdu la foi, Slava parle de Dieu et lui partage que, pour elle, il n'existe plus.
Comme elle est la seule de la famille qui a un travail et un salaire, elle décide de revenir en Suisse.
« Mon cœur a commencé à sourire »
« Un jour, j'ai rencontré Jean-Luc, mon futur mari. Un dimanche, je me suis rendue avec lui à l'Eglise La Fraternelle à Nyon (FREE). Lorsque je suis arrivée à l'entrée, j'ai senti un accueil chaleureux de la part de gens qui ne me connaissaient pas. J'y suis retournée seule et j'ai été surprise de ressentir à nouveau cette chaleur. Puis j'ai rencontré le pasteur, Guy Gentizon, à qui j'ai dit ne pas connaître la Bible. Il m'a alors proposé de la découvrir avec son aide. Les premières rencontres ont été difficiles. Petit à petit, j'ai pris confiance et j'ai commencé à raconter ma vie. Et puis j'ai ressenti un changement au fond de moi et mon cœur a commencé à sourire. Au terme de nos rencontres, en rentrant chez moi, il m'est arrivé de pleurer de joie, tellement la Parole de Dieu était belle. J'ai donc recommencé à prier. »
Slava Schenevey dit aujourd'hui être comme née à nouveau à la lecture de la Bible, lire plusieurs fois le même passage avec soif et découvrir à chaque fois de nouvelles choses : « C'est un trésor ! », s'exclame-t-elle.
Si elle a, par le passé, pu avoir le sentiment que Dieu l'avait abandonnée, elle discerne aujourd'hui qu'il était là : « Dieu a toujours mis des gens sur mon chemin pour m'aider, même si j'étais fâchée, en révolte contre lui », affirme-t-elle.
Gabrielle Desarzens