Peut-être avez-vous déjà entendu parler de la mode du « Zéro déchet » ? Utopie babacool ? Lubie d’écolo extrémiste ? Découvrons les origines et les rouages de cette pratique avant d’esquisser quelques considérations théologiques. Le « Zéro déchet », c’est, par exemple, préférer le vrac aux produits emballés sous sachet plastique, réduire les déchets alimentaires, utiliser une gourde d’eau plutôt que de l’eau en bouteille, installer chez soi un lombricomposteur (un composteur fonctionnant à l’aide de vers de terre) : en bref, ne plus produire ni déchet incinérable, ni déchet recyclable... (1)
Le « Zéro déchet »
C’est sous l’impulsion de Béa Johnson, une Française expatriée aux États-Unis, qui se nourrissait du rêve américain, que ce nouveau mode de vie voit le jour. Cette jeune femme et sa petite famille menaient une vie dont beaucoup rêveraient : une maison de 280 m2 à Pleasant Hill – ça ne s’invente pas ! – avec 4x4, deux réfrigérateurs, quatre tables, vingt-six chaises et la liste est loin d’être terminée. À cette époque, la famille n’avait aucune peine à remplir une poubelle de 240 litres chaque semaine...
Un déménagement permet aux Johnson de revoir leurs priorités et de viser davantage ce qu’elle nomme la « simplicité ». « C’est au cours de cette période de transition que nous avons réalisé qu’en ayant moins de biens matériels nous avions plus de temps pour faire ce que nous aimions » (2). Ce plaisir égoïste va rapidement laisser place à un nouveau mode de vie provoquant une réduction considérable des déchets. Le « Zéro déchet » est né.
On remarque alors que le « Zéro déchet » est le point final de tout un processus. Pour y parvenir, cinq étapes à exécuter absolument dans cet ordre : refuser, réduire, réutiliser, recycler, composter. Résultat des courses, cette famille de quatre personnes va réduire ses déchets ménagers à moins d’un litre par an (!), tout en réalisant 40 % d’économies financières sur leur budget familial.
Pour autant, Béa Johnson confesse que le « Zéro déchet absolu » est impossible à vivre dans notre société de consommation. « Mais le ‘Zéro déchet’ est un idéal, un objectif auquel on peut tenter de se rapprocher un maximum » (3). Afin de toujours plus tendre vers cet idéal, elle nous livre tous ses « trucs et astuces » dans son livre – un best-seller ! – et sur son blog. On recommande également le guide intitulé Famille (presque) Zéro déchet, livre particulièrement bien illustré et rempli d’humour. On concédera volontiers que certains choix demandent beaucoup d’investissement personnel, alors que d’autres peuvent rapidement devenir des habitudes qui font la différence. Car, au vu de l’urgence écologique qui est devant nous, il nous faut réviser nos priorités. « Le ‘Zéro déchet’ n’est pas une mode, c’est une nécessité, un devoir », affirme Béa Johnson.
Et Dieu dans tout ça ?
Quel rapport entre le « Zéro déchet » et le Dieu de la Bible ? Certains demanderont : « Dieu n’a-t-il pas créé une nature qui ne cesse de produire des déchets ? » Mais est-ce vraiment le cas ? Les feuilles des arbres, les tiges des blés qui sèchent dans les champs, le bois mort qui tombe en forêt… Toutes ces choses ne sont pas des déchets ! En se décomposant, toute cette végétation devient des nutriments pour le sol, sans polluer l’écosystème dont ils font partie. Nos modes de vie ne fonctionnent pas du tout sur cette base. Nous produisons des éléments qui ne s’intègrent pas dans un écosystème, dans un cycle de vie. Ou pire, ce qui pourrait s’intégrer dans un écosystème, en se décomposant, nous le traitons comme déchet. Nous jetons, pour la plupart, nos épluchures de fruits et de légumes dans les déchets ménagers, qui vont être transportés, compactés et incinérés. Il faut se rendre à l’évidence, nous ne sommes pas de bons gestionnaires du don de Dieu, de la création. Nous l’abîmons bien plus que nous ne l’aménageons, ne l’organisons ou ne la faisons fructifier.
Les prophètes de l’Ancien Testament s’indignent contre ceux qui profitent de l’abondance de dons divins pour s’enrichir aux dépens des autres. « Quel malheur pour ceux qui ajoutent maison à maison et qui joignent champ à champ, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’espace ! Il n’y a de place que pour vous seuls dans le pays ! » (Es 5.8, NBS ; voir aussi 1 R 21.1-16 ; Mi 2.2). Mais quel rapport avec la gestion de nos déchets ? La problématique des déchets est précisément une problématique de répartition des ressources. Les ressources de la planète sont limitées. Lorsque nous les gaspillons, nous privons d’autres de l’accès à ces ressources. Le Mahatma Gandhi disait : « Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’homme, mais pas assez pour assouvir son avidité. » Déjà des siècles avant lui, Paul exhortait les Corinthiens à propos de la collecte pour Jérusalem, en disant que l’abondance des uns sert à pourvoir au manque des autres (2 Co 8.13-14 ; voir aussi 1 Tm 6.17-19). Ailleurs, l’apôtre encourage aussi le chrétien à une spiritualité du contentement (Ph 4.11-13).
À la suite du Nouveau Testament, des chrétiens de tous les siècles ont continué d’affirmer l’importance d’un style de vie simple, en lien tant avec une éthique de la création qu’une solidarité avec les pauvres (les deux étant devenues quasiment indissociables). Deux textes sont particulièrement significatifs à cet égard. Le premier, Un engagement évangélique pour un style de vie simple (1980), est un texte du Mouvement de Lausanne. Il appelle à « réexaminer nos revenus et nos dépenses afin de vivre avec moins et de donner davantage ». En parallèle, « le gaspillage et l’accumulation de richesses » sont dénoncés comme des causes de la misère des pauvres. Le second, La déclaration de Querétaro (2003), est un texte du Réseau Michée. Il invite les Églises et les chrétiens à se repentir de « nos comportements de consommation », et à interpeller les gouvernements pour une plus grande justice envers les pauvres. Ces deux textes sont malheureusement peu connus dans nos milieux.
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Comme le Réseau Michée le montre bien, tout ne dépend pas de nos comportements individuels. La société dans son ensemble prend parfois des directions contraires à la volonté de Dieu, et nous ne pouvons pas vivre exactement comme nous le voudrions, puisque nous sommes – en partie – contraints par notre milieu de vie. Mais certains choix sont à notre portée ! Alors saisissons-les, non pour nous sauver nous-mêmes (par une nouvelle forme de légalisme), mais plutôt comme des moyens de louer Dieu et de répondre à sa grâce, en assumant notre responsabilité dans la création !
Antony Perrot et Thomas Poëtte