Irak : Pascale Warda, une ancienne ministre, plaide la liberté de conscience, y compris pour que les musulmans puissent changer de religion

Irak : Pascale Warda, une ancienne ministre, plaide la liberté de conscience, y compris pour que les musulmans puissent changer de religion
(Emmanuel Ziehli (Stop Pauvreté)) icon-info
lundi 21 mars 2016

Du 17 au 19 mars, l’ONG Hammourabi pour les Droits de l’homme a organisé un atelier à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, pour faire le point sur la liberté religieuse en Irak. Pascale Warda, ancienne ministre des réfugiés et de l’immigration, organisait l’événement dans le cadre de son mandat de présidente de Hamourabi pour les droits de l’homme. Cette catholique engagée se confie.

Pourquoi est-ce important de mettre sur pied un Atelier de travail sur la liberté de religion et de pensée en Irak ?

Parce que la religion des gens est ciblée dans les conflits que nous avons en Irak : que les Irakiens soient chrétiens, yézidis, bahaïs… Dans un pays qui est un peu le berceau des religions, pourquoi ne pourrait-on pas être de la religion que l’on souhaite ? Dans un pays qui a décidé de se démocratiser, cette dimension est l’expression des droits fondamentaux de l’être humain. De plus, l’Irak a signé nombre de textes internationaux qui demandent le respect des droits humains élémentaires. Même si les politiciens d’aujourd’hui sont les premiers à ignorer ce que d’autres ont fait avant eux, il faut le leur rappeler. Ils ont des responsabilités internationales à respecter.

L’Irak a adopté une nouvelle constitution en 2005. Qu’offre-t-elle dans le domaine du respect de la liberté de religion ?

La constitution irakienne est un document complexe. Il s’agit à la fois d’un texte qui prône un régime civil, mais qui, dans le même temps, affirme dans son article 2 que toutes les lois dépendent de la charia, la loi islamique. Donc, aucune loi ne peut être promulguée en contradiction avec les principes islamiques.

Vu que dans l’article 1, il est précisé que l’Irak est un Etat démocratique, nous assistons constamment à une sorte de jeu de tirage de corde, où chacun tente de tirer la corde à soi. Et c’est le plus lourd qui gagne ! Par ailleurs, vu que, dans les comités juridiques où on discute des lois, les religieux musulmans sont majoritaires, c’est toujours leur avis qui l’emporte !

Concrètement, qu’est-ce que cette constitution garantit en matière de liberté religieuse pour vous qui êtes chrétienne ?

Après toutes les pressions que nous avons faites, elle mentionne la réalité du respect pour toutes les religions. Mais chaque fois que vous faites quelque chose, il faut savoir dans quelle mesure c’est « charia-compatible ». Les Assyriens, les Chaldéens, les Turkmènes, les Yézidis et d’autres voient leurs droits linguistiques et culturels garantis. Mais pour tout ce qui regarde le code civil et le code personnel, de nombreux points sont contraires aux principes chrétiens.

Au plan international, l’un des critères de la liberté de conscience dans un pays, c’est la possibilité de changer de religion. Qu’en est-il en Irak actuellement ?

Actuellement, dans le cadre des campagnes que nous mettons en place, c’est l’un de nos axes d’action : demander davantage de droits pour les musulmans, parce que les personnes de toutes les convictions ont le droit de changer de religion, sauf les musulmans ! 90 pour cent des Irakiens sont musulmans et 90 pour cent de nos concitoyens ne sont pas libres !

Dans les dictatures qui se sont succédé, on pouvait se permettre de faire cela. Mais maintenant, dans le système démocratique que nous essayons d’instaurer dans notre pays, cela n’a plus lieu d’être.

Quand vous regardez la situation des religions dans le Kurdistan irakien, avez-vous l’impression que cette région est à l’avant-garde en matière de respect de la liberté religieuse ?

Vous allez trop loin en disant cela ! C’est une région qui voudrait développer beaucoup de choses en matière de liberté, mais il faut savoir que les islamistes sont très actifs et peuvent opérer des retours en arrière majeurs, que ce soit contre les yézidis ou les chrétiens.

Chaque vendredi, vous entendez que, dans certaines mosquées, même dans le Kurdistan irakien, certains ont appelé à la violence contre les non-musulmans. Les autorités essaient de réprimer cela. Mais ce n’est pas facile à réaliser vraiment.

Une tradition stipule que les musulmans sont des gens supérieurs et que ceux qui pratiquent d'autres religions sont des « kouffars », des gens qui injurient Dieu. Cette culture est installée dans la tête de nos concitoyens. Pour nous, ce n’est pas nouveau. Malheureusement nous avons vécu cela tout au long de notre vie, et quand nous essayions de le dire en Europe, les gens nous taxaient d’intolérance à l’endroit des musulmans !

La solution est vraiment la mise en place d’un système démocratique. Les responsables politiques doivent le comprendre. Cela prend du temps, c’est vrai, mais nous voulons construire ce nouveau système. Quand vous regardez les pays limitrophes de l’Irak, ce sont les pires pays en matière de respect des droits démocratiques. Nous n’avons rien à apprendre d’eux. Il faut aller plus loin, en Europe ou en Amérique du Nord.

Comment voyez-vous l’avenir dans ce domaine en Irak ?

Olala ! Je reste pleine d’espoir, pleine d’espérance pour un pays qui est plein de vitalité. Mais quand vous voyez que les moyens utilisés pour défendre la liberté de conscience et de religion sont si minces, cela nous décourage !

Est-ce que vous vous sentez menacée à cause de votre engagement ?

Oui. C’est pour cela que j’ai en permanence un garde du corps. On m’a pris cinq fois pour cible et quatre de mes gardes du corps ont été tués. Les quatre étaient chrétiens. C'était en 2005 à Bagdad, après la fin de ma mission de ministre ! Je suis chrétienne et je me livre à la Providence qui, jusqu’ici, m’a voulue en vie !

Propos recueillis par Serge Carrel

Photos: Emmanuel Ziehli (StopPauvreté)

  • Encadré 1:

    Pascale Warda en bref

    Pascale Warda est la présidente de l’ONG Hammourabi pour les droits de l’homme. Elle est aussi la cofondatrice du Réseau des femmes irakiennes. De 2003 à 2004, elle a été ministre des réfugiés et de l’immigration dans le gouvernement intérimaire irakien. Catholique chaldéenne et membre du Parti assyrien démocratique, elle a vécu 15 ans en France à l'époque du régime de Saddam Hussein. Elle a fait des études de philosophie et obtenu une maîtrise en étude des droits humains.

Serge Carrel

Serge Carrel est au bénéfice d’une formation double: théologique et journalistique. Après dix ans de pastorat en France et en Suisse romande, il a travaillé huit ans comme journaliste aux émissions religieuses de la RTS. Aujourd’hui formateur d’adultes et journaliste en lien avec la Fédération romande d’Eglises évangéliques (FREE), il essaie de tirer le meilleur parti de ce double ancrage. Que ce soit dans le cadre du FREE COLLEGE, de lafree.ch, de Vivre ou de la fenêtre chrétienne de MaxTV.

Formation reçue

Master en théologie (UNIL, 1986)
Centre romand de formation des journalistes (RP, 1996)

Publicité
  • Surmonter les abus au fil d’un conte

    Surmonter les abus au fil d’un conte

    Il était une fois… une enfant abusée, dont les larmes sont recueillies par une grenouille qui l’accompagne jusqu’au Roi d’un royaume fabuleux. Dans cette histoire, la psychologue Priscille Hunziker parle de la prise en compte de la souffrance. « Le voyage que fait la petite Emmy, c’est la métaphore d’un accompagnement psycho-spirituel », dit-elle mercredi 6 avril. Rencontre.

    jeudi 07 avril 2022
  • Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Au Liban, les habitants vivent l’intensité de la vie face à l’intensité de la mort, selon les mots du théologien et prêtre maronite Fadi Daou rencontré à Genève. Il invite notamment ses concitoyens à devenir des sauveurs… sur les pas de Jésus.

    mardi 21 décembre 2021
  • Noël, ou sortir de nos jugements

    Noël, ou sortir de nos jugements

    Thierry Lenoir est aumônier à 100% à la clinique de La Lignière à Gland. Cet ancien pasteur adventiste parle de l’esprit de Noël en termes de jugements moraux, sociaux et religieux à mettre de côté. Une réflexion qu’il partage dans l’émission Hautes Fréquences diffusée dimanche 19 décembre à 19 heures sur RTS La Première.

    mercredi 15 décembre 2021
  • « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    On investit dans nos carrières professionnelles, dans nos maisons… mais pas assez dans notre couple. C’est le constat que dressent Marc et Christine Gallay, le couple pastoral de l’église évangélique (FREE) de Lonay. Qui pratique avec bonheur une méthode dite « Imago », qui met la cellule de base créée par Dieu à l’honneur. Rencontre.

    lundi 01 novembre 2021
  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Pour les Terraz et les Félix, des choix porteurs de vie

    Pour les Terraz et les Félix, des choix porteurs de vie

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

    vendredi 22 septembre 2023
  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

    jeudi 15 juin 2023
  • « Auras-tu été toi ? »

    « Auras-tu été toi ? »

    Elle puise dans le judaïsme de quoi nourrir sa foi chrétienne. La théologienne et pasteure Francine Carrillo écoute, calligraphie et fait parler les lettres hébraïques qui, selon elle et avec toute la tradition juive, sont porteuses de sens et d’espérance. Rencontre.

    lundi 20 juin 2022

eglisesfree.ch

LAFREE.INFO

  • Qui suis-je ?

    Ven 13 septembre 2024

    Comment les croyants peuvent-ils se situer, dans une société post-chrétienne qui retourne au paganisme et au panthéisme ? Yohan Salsac, pasteur dans l’Église évangélique de Cossonay (FREE), nous suggère de nous concentrer sur l’adoration du Créateur. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Fabricants de Joie: 40 ans de témoignage en Suisse romande

    Ven 13 septembre 2024

    En 40 ans, les « Fabricants de joie » ont contribué au développement de la foi chrétienne en Suisse romande, par de nombreuses activités pour les enfants, adolescents et familles. Une célébration marquera cet anniversaire, le samedi 21 septembre, à Yverdon-les-Bains (Fondation Morija, Jardins de la Plaine 55).

  • Genève, le 29 septembre: le pasteur Abraham présentera la situation post-révolution des chrétiens au Bangladesh

    Jeu 12 septembre 2024

    Au Bangladesh, l’été 2024 aura été marqué par une révolution. L’ancienne Première ministre, Sheikh Hasina, a quitté le pouvoir suite à la contestation étudiante et s’est réfugiée en Inde. Et le Nobel de la Paix, Muhammad Yunus, a été nommé chef d’un gouvernement intérimaire. Dans ce contexte, quel est le sort réservé à la minorité chrétienne ? Le pasteur bangladais Abraham évoquera le dimanche 29 septembre le sort des chrétiens locaux lors du culte de l’Eglise évangélique de la Pélisserie (FREE).

  • La reconnaissance, une clé pour la vie

    Mar 03 septembre 2024

    Différentes cultures consacrent une journée à la reconnaissance. C'est aussi le cas du Jeûne fédéral, en Suisse, qui est aussi appelé "Journée fédérale d'action de grâce, de repentance et de prière". Dans cette tribune, parue le 31 août dans le quotidien "24heures", le physicien EPFL et pasteur évangélique Jean-René Moret s'arrête sur les bienfaits de la reconnaissance.

Instagram

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !