Sur Lesbos, la plus grande des îles grecques de la mer Egée, l’Europe a enfermé derrière des barbelés des dizaines de milliers d’êtres humains, estime Jean Ziegler. Ils y vivent dans des conditions sanitaires et nutritionnelles effroyables. Il y a là un crime contre l’humanité qui est commis, dénonce-t-il. « Mais la fraternité de la nuit se manifeste dans cette misère épouvantable. C’est-à-dire que, de façon non visible, il y a des militants, des militantes, des ONG et même des Eglises qui sont sur place et qui partagent leur quotidien. Qui essaient comme ils peuvent d’apporter un tout petit peu d’espoir et d’amour. Comme notamment auprès d’enfants non accompagnés qui s’automutilent avec des couteaux, et qui font des tentatives répétées de suicide. »
« Il faut détruire les hot spots »
Pour le sociologue, le véritable sujet de l’Histoire est cette fraternité humaine qui n’est a priori pas visible, mais qui œuvre pourtant concrètement. « Sur les terrains les plus sensibles, il y a toujours des personnes qui considèrent à juste titre que l’être humain n’existe que dans la relation. Et que ce qui constitue l’homme, c’est sa capacité de solidarité, de réciprocité, de complémentarité. » Le coronavirus a en attendant touché le camp de Moria, l’ancien camp militaire transformé en centre d’accueil pour réfugiés à Lesbos. « C’est la conséquence d’une politique concrète de Bruxelles qui doit être brisée de toute urgence, commente Jean Ziegler. C’est aujourd’hui une exigence presque égoïste si l’on ne veut pas que la pandémie se renforce et se répande à grande échelle à partir des camps. Il faut absolument détruire les hot spots de la mer Egée et transférer les réfugiés dans des lieux salubres. » Et notre homme d’affirmer que l’Histoire a un sens : « Nous allons vers l’humanisation de l’homme », prophétise-t-il.
« Aime ton prochain ! »
Interpellé sur son ancrage chrétien, il s’approprie les mots de Victor Hugo et dit volontiers détester toutes les Eglises, aimer les hommes et croire en Dieu : « Dieu me semble une évidence absolue. Il y a tant d’amour qui se manifeste. Il vient bien de quelque part ! Regardez maintenant, les soignants, les femmes de ménage qui mettent leur vie très concrètement en jeu, car ils risquent d’être infectés à n’importe quel moment : c’est aussi ça la fraternité de la nuit ! » Celui qui se définit comme un matérialiste dit enfin apprécier l’Evangile, notamment quand le Christ dit d’aimer son prochain. « Le prochain, c’est quelqu’un, cela n’a rien d’universel. Cela signifie celui qui est devant toi, que tu rencontres. Et que s’il a besoin de quelque chose, tu es appelé à y répondre. C’est très concret. »
(Réd.)
1 Lesbos, la honte de l’Europe, Editions du Seuil : 2020.