Il le rappelle dans un ouvrage publié en fin d’année dernière1 : du 17 au 21 février 2020, 2’200 évangéliques sont rassemblés pour une semaine de jeûne et de prière, comme chaque année, à l’église La Porte Ouverte de Mulhouse. Les gestes barrières n’étaient à l’époque pas encore prônés. Quelques jours plus tard, plusieurs participants sont malades du COVID-19 et la machine médiatique s’emballe. Les membres de l’église sont stigmatisés, victimes d’insultes et même de menaces de mort... Mardi 2 février, Samuel Peterschmitt s’installe devant son écran pour une interview virtuelle :
- Samuel Peterschmitt, avez-vous le sentiment d’avoir été, avec votre église, un bouc-émissaire ?
Je pense que nous le sommes devenus de fait. Tous les projecteurs se sont focalisés sur nous. Et je pense que c’est dans la nature humaine d’avoir toujours besoin d’un coupable. Donc nous avons joué ce rôle-là malgré nous. Et de façon incompréhensible puisque nous pensions finalement qu’en faisant notre devoir de citoyen, soit en signalant qu’il se passait quelque chose d’anormal, nous rendions service à la société qui nous entoure. Alors que cela s’est retourné contre nous.
- Qu’est-ce qui a été particulièrement violent ?
C’est d’abord le rouleau compresseur médiatique. Puis cette suspicion qu’être évangélique avait favorisé la propagation du virus. Et finalement la vague de haine qui s’est déversée sur les réseaux sociaux et qui a attaqué ce que nous sommes : des évangéliques. Avec toute la méconnaissance sur ce que cela signifie à la clé.
- Vous citez dans votre livre aussi des insultes et des menaces de mort…
Oui il y a eu des menaces de mort, des commentaires comme quoi il fallait que l’on brûle notre église ; ou quand j’étais hospitalisé : « On espère qu’il crève »… Comme si nous étions responsables, coupables même d’avoir volontairement répandu le virus. Alors qu’à cette époque-là, les services sanitaires disaient qu’il n’y avait pas de chaîne de contamination en France. Le président de la République était à 300 mètres d’ici : il serrait des mains et faisait des selfies la même semaine où nous étions réunis. Et puis d’autres rassemblements ont eu lieu, comme par exemple le Salon de l’agriculture tout de suite après nous : 480'000 personnes pendant cinq jours à Paris. Mais c’est nous qui avons donné l’alerte.
- Avez-vous le sentiment d’avoir une foi différente depuis ces événements ?
Ma foi en est devenue plus forte. Plus profonde. Dans cette période où nous avons été ébranlés, j’ai réalisé à quel point j’avais une grâce de connaître Jésus. Quel bonheur d’avoir eu le Seigneur à qui je pouvais m’adresser !
- Après votre hospitalisation, vous avez dit dans une interview être revenu à beaucoup plus d’humilité…
Je me suis posé la question : « Pourquoi nous ? » Je me suis rendu compte que si c’était arrivé ailleurs, nous nous serions sans doute empressés de juger... comme nous avons été jugés. Et en cela, ce fut une grande leçon d’humilité. Des musulmans sont venus nous voir et m’ont dit : « Si cela s’était produit dans une mosquée, on se serait fait vitrifier. » Et je me suis demandé : « Comment aurais-tu réagi Samuel si cela s’était produit dans une mosquée ? » J’aurais jugé ! J’aurais été arrogant. J’ai donc appris l’humilité. J’ai été amené à regarder les autres avec beaucoup plus de respect.
- En surfant sur internet, je vous ai entendu dire aussi que vous n’aviez plus pu prier… avoir ressenti être comme le blessé laissé sur le côté du chemin…
Je n’ai plus pu prier quand j’étais à l’hôpital parce que je n’avais plus la force de prier. J’étais à un tel stade d’épuisement que même prier était un effort trop grand. Mais j’ai appris dans cette période-là ma dépendance du Seigneur. Et que tout n’est que grâce. Pour moi, cela veut dire aimer son prochain quel qu’il soit. Ne pas juger. Et puis cela veut dire que le temps est un bien précieux que je veux consacrer à Celui que j’aime de tout mon cœur. Cela m’a rapproché de Lui.
- Qu’est-ce que vous avez appris ?
Je suis passé par une nouvelle prise de conscience. Si plusieurs proches n’avaient pas succombé à la maladie, je pourrais dire que cette expérience a été formidable. Le Seigneur s’est vraiment révélé à moi pendant cette période dans une autre dimension.
- En quoi est-ce que cela vous a changé ?
Je pense que je suis quelqu’un qui a beaucoup plus conscience de Dieu au plus profond de lui-même et du regard constant du Seigneur sur lui. Cela où que je sois, quoi que je fasse, quoi que je pense. Et ça change mon regard sur les autres. Je les approche différemment. Plus que jamais, j’ai envie de dire que la vie en Christ est formidable. J’ai comme reçu un cœur de chair, qui me fait vivre les choses totalement différemment. Une sensibilité à l’autre, mais au Seigneur aussi. Une conscience par rapport à mes paroles et mes actes devant Dieu. Par exemple, mes temps de prière sont devenus merveilleux. Ce sont des temps de rendez-vous que je ne raterais plus. C’est juste une joie ! Un privilège !
- Pourquoi avoir participé à un livre sur cet épisode ? Et quel est le message que vous voulez faire entendre au travers de ces pages ?
Ce n’était pas mon idée. C’est un éditeur parisien qui m’a téléphoné et qui m’a dit vouloir me donner la parole parce que nous n’avions pas été bien traités et pour que la société comprenne aussi qui sont les évangéliques. Mais je n’en avais pas la force et c’est comme ça que le mode de l’entretien a fait son chemin. Cela dit, pour moi, ce livre n’est pas un règlement de comptes. J’ai dit ce qu’on a vécu, puis j’ai raconté l’histoire de notre église, et puis l’origine des évangéliques, qu’on ne peut confondre en Europe avec Trump ou Bolsonaro. Et ça change la crédibilité de nos messages.
Maintenant, ce que j’aimerais dire encore c’est : « Merci Seigneur pour les remises en question que la pandémie permet. » Au niveau des églises : que l’on s’interroge si nous avons réussi à faire de nos églises des églises de disciples ! Quel bilan ? Je prône un retour de l’église dans toute la société. Cela signifie de prendre soin de celle, de celui qui nous entoure. Cela signifie pour chaque chrétien un réel enracinement dans la foi. Et la joie de la vivre. Et de la communiquer.
Propos recueillis par Gabrielle Desarzens
1 « La Déferlante, cette crise qui a révélé les évangéliques », de Samuel Peterschmitt, avec Kévin Boucaud-Victoire, rédacteur en chef de l’hebdomadaire français Marianne, préface de Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018. Ed. Première Partie : 2020.