Trente ans, psychologue de formation, Joachim slalome souriant entre les tables du café-restaurant, commande un dessert au chocolat et parle sans détour : « Je suis quelqu’un qui a des attirances homosexuelles. Mais mon identité n'est pas ma préférence pour les personnes de même sexe. Et je n’aime pas que l’on parle à ma place. » Né dans une famille évangélique du Jura bernois, il transite actuellement de l’église ICF à C3. S’il a fait son coming-out pendant son gymnase (vers 17-18 ans ndlr), il a suivi il y a dix ans une formation « Torrents de vie » à Bussigny (VD) qui ne l’a ni détruit, ni traumatisé. « Cela n’a toutefois pas changé radicalement ma vie. J’ai appris des choses. Mais il faut souligner que je n’y ai rien vécu en termes de violence comme ce que le film Boy erased1 dénonce. » La voix de Joachim tranche aussi face au livre fraîchement paru « Dieu est amour »2 de deux journalistes français qui ont infiltrés les milieux qui veulent, disent-ils, « guérir » les homosexuels. Nous avons voulu l'entendre.
- Pourquoi ne pas vous accepter comme homosexuel ?
Est-ce que vous entendez par là vivre une sexualité homosexuelle ? Je l’ai vécue, mais elle ne m’a pas satisfait. J'ai à chaque fois eu de l’affection pour mon partenaire, mais j’étais envieux, je jalousais ses caractéristiques physiques et psychologiques. C’est comme si je recherchais chez l’autre ce qui me manquait. J’avais le sentiment de me perdre dans le même que moi-même. Comme s’il m’apportait ce qui n’était pas développé en moi. Un peu comme si ma masculinité se trouvait à l’extérieur de moi-même. Aujourd’hui, je veux décentrer la sexualité de qui je suis. J’ai des attirances homosexuelles, mais ne suis pas homosexuel. Pour moi, réduire l’identité à une attirance n’est pas pertinent.
- N’avez-vous pas l’impression de renier qui vous êtes ?
J’ai aujourd’hui au contraire l’impression d’être plus sincère. Encore une fois, j’ai des attirances homosexuelles, mais j’ai le sentiment que vivre une sexualité homosexuelle me fait renier mes vrais désirs qui sont des désirs de réconciliation avec moi-même, avec ma masculinité. J’ai pratiqué ce qu’on appelle le « détachement défensif » en psychologie et qui consiste à se couper de figures d’attachement qui sont perçues comme nocives. Je pense en fait avoir beaucoup souffert de stéréotypes de genres. Je voyais dans la masculinité un modèle très rigide. J’ai par ailleurs découvert la grâce de Dieu qui m’accepte, comme je suis, sans condamnation en Jésus, et qui me permet de m’interroger sur mes motivations en toute sécurité.
- Comment en êtes-vous venu à faire un cours de type « Torrents de vie » ?
Mes parents me l’ont proposé. Parallèlement et avant de le débuter, des choses me revenaient en mémoire en lien avec mon enfance, une colère contre mon père et ma mère dont l’exemple de couple m’avait blessé. J’ai pu leur en parler. Je me suis dit que cela avait un sens de creuser cela.
- Ce cours était-il violent ?
Je crois qu’objectivement, je peux dire que non.
- Qu’y avez-vous appris ?
J’ai pu revisiter mon vécu familial, comprendre combien la projection de mes carences de l’enfance étaient présentes, portaient préjudice à mes relations présentes et me gardaient prisonnier.
- Comment expliquez-vous la fureur que ce genre de démarches suscitent ?
Des personnes à la tête de ce genre de cours peuvent avoir de mauvaises motivations ; je pense au film Boy erased. Il existe en outre différentes démarches, dont certaines sont très nuisibles. Des amalgames sont alors faits et tous ces cours sont du coup déclarés menaçants et dangereux.
- Plusieurs homosexuels chrétiens parviennent à concilier leur sexualité et leur foi chrétienne. Pourquoi pas vous ?
Je considère concilier mon attirance homosexuelle et ma foi chrétienne. C’est simplement que je ne désire pas avoir une sexualité en dehors du cadre biblique de la sexualité, car je pense qu’il y a mieux pour moi que ce que j’ai vécu dans mes expériences passées. Je pense avoir en moi ce qu’il faut sans avoir besoin de me noyer dans un autre individu, sans devoir m’emparer chez l’autre de quelque chose qui me manquerait. Je crois qu’il y a une partie de moi, encore atrophiée, qui doit être développée.
- Ne vous dites-vous pas au final ne pas être en couple parce que vous n’auriez pas rencontré l’homme de votre vie ?
Aujourd’hui, je ne suis pas frustré de ne pas être avec un homme. La plupart du temps en tout cas. Il faut dire que dans une telle relation, je n’ai jamais vécu ce don pour l’autre qui me semble essentiel dans une relation de couple.
Propos recueillis par Gabrielle Desarzens
1 Boy erased : Sorti en 2018, ce film raconte l'histoire vraie de Jared Eamons, le fils homosexuel d'un pasteur baptiste dans une petite commune rurale des États-Unis, où son orientation sexuelle est brutalement dévoilée à ses parents à l'âge de 19 ans. Craignant le rejet de sa famille, de ses amis et de sa communauté religieuse, Jared est poussé à entreprendre une thérapie de conversion. Il y entre en conflit avec le thérapeute principal. Le film montre une pratique de « guérison » scandaleuse.
2 « Dieu est amour », enquête, infiltrés parmi ceux qui veulent « guérir » les homosexuels », de Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, Flammarion : 2019.