« Je vais bien mieux que l’humanité », s’exclame Olivier Bigler, 39 ans, en passant la porte de son cabinet. C’est la pause de midi et l’avocat dépose des sushis sur la table. Jovial, d’emblée volubile, celui qui aime le verbe se décrit pourtant comme un « Jurassien taiseux » : « Car je ne me mets pas en colère, je ne suis pas un explosif ! » Cela dit, la question migratoire nous concerne tous, estime-t-il. Car la politique d’asile est toujours plus inhumaine et elle entraîne notre responsabilité à tous. « Les preuves à amener sont constamment plus strictes, il y a un doute systématique de la part du le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM, qui traite les demandes d’asile et pratique les auditions, ndlr) sur les documents et la parole des migrants. Or il s’agit de personnes que l’on côtoie, qui vivent ici. » L’affaire Norbert Valley a en ce sens été un cas d’école, car elle a montré que si l’on ne peut plus accueillir quelqu’un chez soi, si l’on ne peut plus considérer le migrant comme un frère en humanité, on fabrique une « société d’apartheid », une société ségréguée. « Est-ce vraiment ce que nous voulons ? »
Il faut lutter !
Après avoir défendu avec succès Flavie Bettex et Norbert Valley, tous deux accusés d’infraction à l’article 116 de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration pour « incitation à l’entrée, à la sortie ou au séjour illégaux », respectivement en 2018 et 2020, l’avocat neuchâtelois continue de combattre pour davantage de justice. « Car celle-ci n’est pas quelque chose de naturel : le fort mange toujours le faible. Il faut lutter ! »
Le droit d’asile en question
Chrétien engagé dans l’église évangélique des Saules à Colombier (NE), l’homme est aujourd’hui l’avocat de plus d’une dizaine de demandeurs d’asile iraniens. Selon le SEM, l’Iran respecte ses minorités religieuses historiques, dont les chrétiens. « Mais dans le cas précis, il s’agit de musulmans qui se sont convertis au christianisme. Ils sont alors considérés comme traîtres à la religion, et comme l’Iran est une théocratie, traîtres à l’Etat, car la conversion est un crime religieux puni par les tribunaux religieux dans ce pays, explique posément Olivier Bigler. Ces ressortissants iraniens fréquentent pour la plupart une communauté chrétienne ici en Suisse… et sont donc arrivés chez moi par le biais de connaissance partagées ! » Il faut dire que défendre les demandeurs d’asile, selon lui, n’attire pas beaucoup de vocations. « Car le droit d’asile est sans cesse révisé et se durcit chaque année. Mais combien de temps va-t-il encore exister si les personnes doivent prouver l’impossible et qu’aucun Etat ne délivre de certificat de persécution ou de torture ? »
Choc post-traumatique
Car le Neuchâtelois essaie de défendre par exemple le jeune Togolais que Norbert Valley avait abrité. « Il s’agit d’un militant politique dans son pays qui a été emprisonné, sodomisé, brûlé sur le corps au moyen de cigarettes. » Débouté par le Tribunal administratif fédéral, l’avocat a saisi le Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture. Mais les chances sont minces. « J’ai défendu une autre personne en état de choc post-traumatique, qui a vécu ici en Suisse plusieurs semaines dans une cave sans sortir, sans aucun contact avec l’extérieur… » Comme avocat, il se dit aux prises avec la violence de ce monde qui est énorme : « Ce que j’aime pourtant dans mon métier, c’est être à côté des personnes que je défends. Mon travail, c’est de les croire, de les prendre au sérieux. »
Créer des ponts
Et quand le découragement guette ? « Le métier est dur. Il y a quantité d’ascenseurs émotionnels. Et on est souvent seul. La foi chrétienne qui est la mienne m’aide en me donnant une valeur propre, qui ne dépend pas de ce que je fais ou réussis. Et quand je suis confronté au désespoir, elle me permet de prendre du recul. » En ce qui concerne les Iraniens qu’il défend, cette même foi construit comme un pont entre eux, « par-delà les cultures, les éducations et les langues différentes. Et créer un tel pont me donne une énergie qui se sent au Tribunal ! » Cette foi partagée permet aussi la confiance, un ingrédient essentiel pour ce travail au Barreau. Et l’avocat neuchâtelois d’ajouter encore avoir le privilège de défendre à chaque fois une personne dans une situation particulière et de ne pas être, « Dieu merci », le porte-parole de tous les migrants.
Gabrielle Desarzens